Présence dans l'absence

Souvent au cours de ma vie, je me suis demandé comment Dieu pouvait agir de manière si étrange. Pourquoi garde-t-il si longtemps le silence ? Pourquoi la foi est-elle aussi amère ? Lui qui peut tout, pourquoi ne se révèle-t-il pas aux hommes de manière plus éclatante ?
On dirait que Dieu fait tout pour rester silencieux afin de me démontrer par son silence qu’il n’existe pas, que je fais une mauvaise affaire en le suivant, et qu’il serait plus intéressant pour moi de chercher à posséder la terre. Certains hommes, devant le silence de Dieu, ne restent-ils pas convaincus qu’il n’existe pas, tandis que d’autres demeurent scandalisés par la manière dont Dieu gère les choses ? Si Dieu existe, pourquoi le mal ? Si Dieu est amour, pourquoi la souffrance ? Si Dieu est père, pourquoi la mort ? Et si je frappe à la porte, pourquoi ne m’ouvre-t-il pas ?

 

 J’ai pensé à tout cela et à bien d’autres choses lorsque j’étais novice à son école. Puis, cheminant avec patience, sans me laisser impressionner par les premières difficultés, résistant devant sa porte avec la volonté d’un homme qui fait la grève de la faim, croyant surtout à l’Évangile comme à une chose vraie et inexorable, j’ai commencé à voir comment étaient les choses, à découvrir sa manière de faire, à distinguer son pas feutré.

Je ne me suis plus étonné d’être traité comme l’épouse du Cantique des cantiques, je ne me suis plus étonné de ce que l’Époux s’enfuyait lorsque j’ouvrais la porte. C’était à lui de l’ouvrir cette porte, et non à moi, homme, toujours pressé. Le péché, c’est la hâte d’Adam, et, mon désir de posséder est plus fort que mon véritable amour pour Dieu. "Attends donc !", m’est-il dit. "Attends !" Oh ! Le tourment de cet "Attends", le vide laissé par cette absence !
Mais ensuite, peu à peu, je commençai à comprendre que dans ce vide, dans cette absence, Dieu était plus présent que jamais. À moi qui étais assoiffé de présence, il se présentait comme absence pour attiser mon désir. Aussi étais-je obligé de purifier ma foi, et de lui dire que je croyais en lui non point par intérêt, mais par amour. À moi, qui étais assoiffé de sa lumière et de sa vérité, il se présentait comme ténèbres. Jamais je n’ai compris, comme en cet instant, le sens de la nuée qui conduisait le peuple de Dieu dans le désert. À moi, qui étais impatient de le posséder, il se présentait comme l’insensibilité même dans les froides aubes du désert.
"Avant d’accepter ton étreinte, me dit-il, je veux la preuve de ta fidélité. Tu es trop sensuel pour que je me donne en pâture à tes envies, si pauvres d’amour et si gonflées d’égoïsme ! Tu crois m’aimer, mais en réalité, tu t’aimes toi-même ! C’est toujours la même histoire ! Tu en as de la route à faire, avant d’être sorti de toi-même et de ton univers. Moi, je suis sorti pour toi de ma sphère pour venir à toi. Fais-en autant ! Attends-moi toute la vie comme si je venais chaque soir : je te serai présent et tu ne t’en apercevras pas, je serai ta lumière et tu ne me verras pas, je t’étreindrai et tu ne sentiras rien. Ainsi, je saurai vraiment si tu aimes Dieu parce qu’il est Dieu ou parce qu’il résout tes problèmes. Je te l’ai dit, ce que je crains c’est un mariage d’intérêt : un Dieu court toujours ce risque ! Je veux me sauvegarder ! Tu dois m’aimer parce que je suis l’amour, et non parce que je te plais. Oui, l’amour et non point la puissance ; l’amour, et non la tranquillité ; l’amour, non le plaisir".
Je compris alors ce que signifiait la foi nue, l’espérance sans mémoire et la charité sans plaisir. Acceptez la foi telle qu’elle est : nue, et attendez toute votre vie ce Dieu qui vient toujours ; il ne se montre pas à votre esprit curieux, mais il se dévoile devant votre fidélité et votre humilité. Acceptez l’espérance ; c’est la trace ineffaçable qu’il a laissée au fond de votre âme, nostalgie infinie du ciel. Acceptez la charité, c’est la manière d’aimer de Dieu : il a livré son Fils bien-aimé aux tourments du Calvaire pour le salut de tous.
 
Carlo CARETTO

Le Dieu qui vient, p. 119-123.

 

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