Attendre Dieu

Attendre signifie n’avoir pas et avoir au même moment. Car nous n’avons pas ce que nous attendons ; ou, comme dit l’Apôtre, espérant ce que nous ne voyons pas, alors nous l’attendons. La condition de l’homme dans sa relation avec Dieu, c’est avant tout la condition de quelqu’un qui n’a pas, qui ne voit pas, qui ne sait pas et ne prend pas. Puisque Dieu est infiniment caché, libre et imprévisible, nous devons l’attendre de la façon la plus absolue et la plus radicale. Pour nous, il est Dieu, précisément dans la mesure où nous ne le possédons pas. Le psalmiste dit que son être tout entier attend le Seigneur. Il indique ainsi que l’attente de Dieu ne fait pas seulement partie de notre relation à Dieu, mais qu’elle en est la condition. Le moyen d’avoir Dieu, c’est de ne pas l’avoir. Mais bien qu’attendre soit n’avoir pas, c’est aussi avoir. Le fait que nous attendions quelque chose montre que de quelque manière nous la possédons déjà. L’attente anticipe ce qui n’est pas encore réel. Si nous attendons dans l’espérance et dans la patience, le pouvoir de ce que nous attendons agit en nous. Celui qui attend, dans le sens le plus élevé, n’est pas loin de ce qu’il attend. Celui qui attend avec un sérieux absolu est déjà saisi par ce qu’il attend. Celui qui attend dans la patience a déjà reçu la puissance de ce qu’il attend. Celui qui attend passionnément est déjà puissance d’action, il a la plus grande puissance de transformation possible dans sa vie intérieure et extérieure.
Nous sommes plus forts dans l’attente que dans la possession. Lorsque nous possédons Dieu, nous le réduisons à cette petite parcelle de lui que nous avons cru connaître et saisir, et nous en faisons une idole. C’est seulement en servant des idoles que l’on peut croire à la possession de Dieu. Il y a beaucoup d’idolâtrie de cette sorte parmi les chrétiens. Mais, si nous savons que nous ne connaissons pas Dieu et si nous attendons qu’il se fasse connaître à nous, alors nous avons réellement quelque connaissance de lui, alors nous sommes connus, saisis et possédés pas lui.
N’oublions pas néanmoins que l’attente est une énorme tension. Elle exclut toute satisfaction qu’on tirerait de ne posséder rien, toute indifférence ou tout mépris à l’égard de ceux qui possèdent quelque chose, tout abandon au doute ou au désespoir. Que notre fierté de ne rien posséder ne devienne pas une nouvelle possession ! Là se trouve une des grandes tentations de notre temps, car il reste peu de chose dont nous puissions revendiquer la possession. Nous cédons à la même tentation lorsque, dans notre effort pour posséder Dieu, nous nous vantons de ne pas le posséder. La réponse divine à cet effort est le vide absolu. L’attente n’est pas le désespoir. Attendre c’est accepter de n’avoir point, au nom de ce que nous avons déjà.

Paul TILLICH

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