Jusqu'aux profondeurs de nous-mêmes

Le dialogue avec le Christ connaît des alternances. La prière ne serait-elle pas de nous tenir simplement devant lui, avec ou sans dialogue ? Il en est aujourd’hui qui vivent comme au jour du samedi saint, dans un sentiment subjectif d’absence de Dieu, face au silence de Dieu, comme s’il était mort. Leur existence se passe sans qu’ils se sachent aimés, ni de Dieu ni des hommes, si intime est la réciprocité de l’un à l’autre. L’un des plus purifiés par l’épreuve, Charles de Foucauld, n’écrivait-il pas au soir de sa vie : "Je ne sais pas si Dieu m’aime et je ne sais pas si je l’aime".
Pourtant, même sans dialogue, Lui nous regarde et toujours nous considère. Il nous engage à ne pas faire l’économie de la foi, à avancer sans la vue, joyeux de croire sans avoir vu, et cela pour les hommes, parmi les hommes.

Serions-nous au temps des veilles de Pâques, et puisque Pâques signifie passage, serions-nous dans l’attente d’un passage nouveau pour l’Église ? De même qu’au samedi saint, le Christ est descendu jusqu’aux régions inférieures de la terre, c’est à nous de mettre à profit ce temps de repos pour le laisser descendre dans les profondeurs de nous-mêmes. Au travers des événements comme à travers chaque épreuve, il creuse en nous pour atteindre davantage les profondeurs, Celui qui seul peut détruire les racines d’amertume et permettre qu’un jour nos comportements soient neufs.
Il y a en l’homme quelque chose de plus intime, par quoi il dépasse le monde des choses et de l’organisation sociale. C’est cette profondeur qu’il retrouve quand il rentre en lui-même. C’est là que Dieu l’attend, lui qui scrute les cœurs. C’est là que, sous le regard de Dieu, se joue son propre sort : alors, il n’est pas le jouet d’un monde imaginaire mais il atteint le tréfonds même de la réalité. À tel point qu’il ne servirait à rien à l’homme de soumettre l’univers, s’il venait à se perdre lui-même.
Laisser descendre le Christ jusqu’aux profondeurs de nous-mêmes, dans ces régions de notre personne qui ne sont pas encore habitées, et qui refusent ou sont dans l’impossibilité d’adhérer au Christ. Il pénétrera les régions de l’intelligence et du cœur, il atteindra notre chair jusqu’aux entrailles, en sorte que, nous aussi, nous ayons un jour des entrailles de miséricorde.
Jusqu’à notre souffle ultime demeureront en nous des zones d’incrédulité, dont la découverte parfois nous étonne. Personne ne peut dire : "Je crois", sans ajouter aussitôt : "Viens en aide à mon peu de foi". Mais, peu à peu, les zones réfractaires, les terres desséchées, mais toujours assoiffées, s’éclaireront, s’illumineront par la certitude d’une présence, celle du Ressuscité.
Nous tenir devant Dieu ne dépasse pas notre mesure humaine. La présence objective de Dieu n’est pas liée à la sensibilité. Il est là aux temps où la ferveur se dissipe, et où s’évanouit en nous la résonance sensible du Christ. Confirmés encore, et toujours à nouveau confirmés par l’amitié de Dieu, par sa bienveillance, vient le moment où domine en nous la certitude d’une présence.
Roger SCHUTZ, Unanimité dans le pluralisme, p. 67-72.

 

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