Veillez!

Sans la vertu de vigilance, toutes les autres sont inutiles. C’est là ce que dit explicitement la parabole des vierges sages et des vierges folles, car parmi ces dix vierges qui forment un chœur harmonieux, il y en a cinq sauvées et cinq perdues. Or, les cinq qui se perdent valent en toutes choses les autres puisqu’elles sont vierges, puisqu’elles sont belles ; puisqu’elles sont appelées à la noce, c’est qu’elles sont dignes ; et elles ont même une lampe. Il ne leur manque qu’une chose, et cette chose manquant, tout le reste vient à manquer, c’est comme si elles n’avaient rien eu, c’est comme si elles n’avaient été ni vierges, ni belles, ni appelées : elles n’ont pas veillé. Il fallait veiller, il fallait préparer et elles n’ont rien préparé ; même pour s’endormir il fallait avoir préparé, car les vierges sages comme les vierges folles se sont endormies en attendant l’arrivée de l’Époux ; même pour s’endormir il fallait avoir pratiqué la vigilance.

Le manque de vigilance, la distraction, c’est ce que nous proposons comme huitième péché capital. Péché capital au sens propre du mot : péché tête, chef et racine de tous les autres. Huitième péché capital ou, si vous préférez, le premier, puisque tous les autres se réduisent à lui, puisque aussi bien la colère, l’orgueil, la gourmandise, la luxure, la paresse et les autres ne sont autre chose que des distractions, des manques d’attention à l’essentiel.
L’attention ne vaut, et l’attention ne sauve, que si c’est l’attention à l’essentiel, alors que l’attention la plus commune et qui ne vaut rien, c’est l’attention à tout ce qui ne sauve pas, à tout ce qui ne sert de rien ou à tout ce qui sert nos désirs. En vérité ce ne sont pas là des attentions, ce sont au contraire des entraînements, des attraits, une absorption dans les désirs, ce n’est pas cette attention qu’on peut appeler vigilance. L’attention qui sauve n’est qu’une seule chose avec la conscience. L’attention qui sauve c’est l’attention à soi, c’est la crainte de se perdre et de se disperser, c’est l’effort conscient et constant de se recueillir, de se garder, et le fruit de cet effort est admirablement représenté ici par l’huile des lampes. Il ne sert à rien d’avoir une lampe si l’on n’a rien à mettre dans la lampe. Il ne sert à rien d’avoir des élans généreux s’il n’y a pas de substance derrière ces élans ; ce ne sont pas des élans généreux, ce sont des illusions de générosité.
Les vierges vont aux noces, elles doivent être attentives pour éclairer leurs lampes afin d’être présentes aux noces, présentes à l’heure de l’union, et unies à ceux qui s’unissent. C’est à cela que l’attention de chacun est appelée. "Il y aura beaucoup d’appelés et peu d’élus", est-il dit ; et cela semble injuste. Cela serait injuste si nous ne connaissions la valeur et la clef de ce dire, car non seulement il y a beaucoup d’appelés, mais tous sont appelés ; l’appel est pour tous les vivants, mais sert-il à ceux qui sont sourds ou qui dorment ? Tous les anges du ciel peuvent appeler et Dieu lui-même peut appeler, et appeler en criant, et appeler en saignant, et appeler en pleurant, et appeler en menaçant ! Que peut le Tout-Puissant pour un distrait, pour des absents, pour des gens qui sont aux écoutes de tout, excepté de l’appel ? Être prêt à l’appel, c’est se réveiller : ce mot est fort car il souligne qu’il s’agit de soi-même. Personne ne pourra vous éveiller spirituellement sinon vous-même, et c’est le premier de vos devoirs : éveillez-vous, éveillons-nous car nous dormons.

Commentaire de l’Évangile, p. 283-285

 

Imprimer E-mail